
Lorsqu’on jette de l’huile sur le feu, on ne s’étonne pas de l’incendie.
Il y a un an, nous étions au milieu du Grand Débat National, exercice inédit qui devait permettre à la société française, dont les fractures grandissantes s’exprimaient par le mouvement des gilets jaunes, de renouer avec ses élus. La démocratie participative dans tout son éclat. Près de 2 millions de contributions en ligne, des cahiers dans la moitié des communes françaises, 10 134 réunions locales.
Pour lancer ce débat, le Président de la République, Emmanuel Macron, écrivait une lettre aux Français commençant par ces mots : « Dans une période d’interrogations et d’incertitudes comme celle que nous traversons, nous devons nous rappeler qui nous sommes. La France n’est pas un pays comme les autres. Le sens des injustices y est plus vif qu’ailleurs. L’exigence d’entraide et de solidarité plus forte. » Il reconnaissait que « une grande inquiétude, mais aussi un grand trouble ont gagné les esprits » et invitait à y « répondre par des idées claires. » Il refusait « la pression et l’insulte, par exemple sur les élus du peuple, (…) la mise en accusation générale, par exemple des médias, des journalistes, des institutions et des fonctionnaires. Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait ! Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de notre avenir. »
Nous sommes nombreux à avoir rencontré les « gilets jaunes », organisé ces débats, tenté de relancer le dialogue et porté les réformes, dans l’espoir de retisser les liens distendus de la Nation. Être à la hauteur de la tâche qui nous a été confiée par les urnes. Nous, élus de la majorité, LREM ou Modem, sommes montés en première ligne pour le président et pour le gouvernement, pour la France.
Qu’en est-il aujourd’hui ? La conclusion du Grand débat était la promesse d’un acte II apaisé, de bienveillance et de discussion.
Le deuxième paragraphe de la lettre présidentielle évoquait les pensions des retraités. C’est dire que la réforme pour un système universel de retraite devait être le symbole de cet acte II.
Elle devait remettre de la clarté et de l’équité dans un système créé au fil du temps, qui superposait les régimes et niait l’idée même de solidarité à son origine. Jean-Paul Delevoye, alors Haut-Commissaire à la réforme des retraites, a dévoilé dans un rapport ses recommandations pour cette future réforme, après 18 mois de concertation. Il y préconisait que les comptes du régime de retraite soient à l’équilibre en 2025 au démarrage du nouveau système. Le Conseil d’orientation des retraites (COR) a alors été chargé par le Premier ministre Édouard Philippe de mesurer l’évolution des comptes entre aujourd’hui et 2030. Le rapport n’a su aboutir à un consensus sur les mesures à prendre.
Très vite, des voix se sont élevées dans de nombreux syndicats et corps professionnels telles un attachement à des acquis et des régimes préférentiels contraires à la solidarité nationale, certainement. Mais certains, réformistes et modérés, n’avaient posé qu’une ligne rouge, l’âge pivot, que le gouvernement a aussitôt franchi, avant de reculer. On aurait pu s’épargner cet épisode.
La CFDT propose une conférence de financement, elle est acceptée. Mais au lieu d’attendre le déroulement serein de cette concertation, le gouvernement fait le choix des ordonnances pour en inscrire les conclusions et présente son texte en Conseil des ministres le 24 janvier 2020. Le rapport du Conseil d’État est très critique : sur la revalorisation des salaires pour les enseignants notamment, sur le temps très court que le gouvernement lui a laissé pour étudier le projet de loi, surtout. Le texte comporte 29 ordonnances, ce qui n’est pas admissible sur un texte d’une telle importance sociétale.
Le projet n’est pas abouti, il n’est pas clair, il entretient les inquiétudes et le trouble. Les peurs dominent les espérances.
Le gouvernement demande une procédure accélérée, sur un tel texte ? Si 85% du programme de campagne sont en cours de réalisation, quel est l’intérêt de précipiter l’étude d’un texte qui pouvait réconcilier les français ? Pourquoi bousculer les représentants élus de la Nation ?
Ces élus, ces collègues, qui ont tant donné et tant souffert pour porter les réformes qui redessine la France, ne méritent pas le mépris et les reproches adressés par leurs propres leaders.
Les oppositions ont évidemment joué le jeu de l’obstruction, jusqu’à l’extrême, jusqu’à la caricature. Les uns contre les autres, chacun s’enfermant dans un rôle de victimes ou de bourreaux, c’est toute la crédibilité de la représentation parlementaire que l’on perd, c’est la démocratie qui souffre. Quelle image donnons-nous à nos concitoyens ? Doit-on pour autant tomber le rideau sur ce spectacle déplorable ?
Le 49-3 n’est pas exceptionnel, il a déjà était utilisé. Mais aujourd’hui, il est un risque que notre démocratie fragilisée ne peut pas se permettre. Nous avons atteint un point de tension et de bascule qui n’est ni français ni européen mais bien mondial. Nous devons craindre l’effet domino. Quelle sera l’étape suivante ?
Utiliser le 49-3, un samedi, après avoir interdit les rassemblements de plus de 5000 personnes pour cause de coronavirus, jette forcément le doute sur les motivations du gouvernement. Si les raisons peuvent être entendues à certains moments de notre histoire, il en est d’autres où elles ne sont pas entendables.
Pour élever le débat, on ne refuse pas le débat.
Le sujet des retraites est essentiel pour les français, il définit à la fois les carrières professionnelles et les choix de vie personnels. Penser les retraites, c’est penser le modèle sociétal pour les générations à venir, la place de chacun. Ce sont toutes les étapes qui marquent la vie : maternité, paternité, maladie, handicap, pénibilité, chômage, liberté d’évoluer, égalité dans le traitement, fraternité dans les épreuves…
Réformer le système est LE sujet social de l’acte II et LA promesse d’une société plus juste. Cela nécessite de créer les conditions idéales de la réflexion, écouter toutes les voix, construire ensemble cette grande question d’avenir. Pour que cette réforme soit durable et acceptée, il faut savoir prendre le temps du débat, avoir la patience du dialogue et de l’apaisement.
Pour toutes ces raisons, il n’est pas envisageable que le projet échappe aux représentants de la Nation et pas souhaitable de mettre un terme au travail de l’Assemblée par un camouflet inscrit depuis des mois dans la gestion du sujet par le gouvernement. Ce dernier doit prendre ses responsabilités dans l’échec de la concertation et du dialogue.
Pour toutes ces raisons, j’ai signé la motion de censure présentée par les groupes de gauche et pour toutes ces raisons, je la voterai.