Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et messieurs les membres du gouvernement,
Chers collègues,
Si nous siégeons aujourd’hui, ce n’est certainement pas sur la réforme des retraites. Ces dernières semaines, son contenu est souvent passé au second plan de nos agitations. L’Histoire ne retiendra peut-être pas que la réforme des retraites de ce gouvernement est passée par le 49-3, comme elle n’a pas retenu les textes qui ont connu la même histoire. Mais l’Histoire retiendra la blessure de plus infligée à notre République.
Personnellement, j’ai toujours pensé et je continue de soutenir qu’une réforme est indispensable pour assurer un système à la fois plus universel et plus équitable. Mais un projet aussi essentiel pour notre société et notre avenir commun ne doit pas se faire ainsi. Nous ne sommes pas là pour parler du fond de la réforme. Peu importe aujourd’hui ce que l’on en
pense. Que l’on soit pour, contre, ou indécis. Aujourd’hui, nous ne voterons pas sur le fond mais bien sur la forme. La question se pose, du grand débat au 49-3, les méthodes ont-elles été les bonnes ?
Il y a un an, au lancement de ce Grand Débat, le Président de la République écrivait ces mots aux Français : « Dans une période d’interrogations et d’incertitudes comme celle que nous traversons, nous devons nous rappeler qui nous sommes. (…) Si tout le monde agresse tout le monde, la société se défait ! Afin que les espérances dominent les peurs, il est nécessaire et légitime que nous nous reposions ensemble les grandes questions de
notre avenir. » Verbale ou physique, l’agression peut prendre des formes diverses. Priver les parlementaires de leur parole, inscrite dans leur nom même, en est une. L’apaisement ne se trouvera que dans la parole posée, réfléchie et la construction conjointe de la société de demain. Il ne faut jamais soumettre une majorité silencieuse à une minorité bruyante.
Pour cela, nous ne pouvons faire l’impasse sur le dialogue démocratique.
Nombre d’entre nous avons alerté sur les risques qu’entraineraient l’usage d’un 49.3. Nous avons proposé de prendre le temps nécessaire l’exercice de notre mission première, l’écriture et la discussion de la loi.
Nous devons maintenant nous interroger collectivement sur le spectacle que nous donnons à nos citoyens. Je ne cautionne aucun des débordements de ces dernières semaines. Cependant, nous devons nous interroger sur la manière dont a été menée cette réforme : négociations, débats, rapports et
avis, son dépôt, son parcours. Chaque étape a laissé les Français dans l’incertitude et l’interrogation, mères de toutes les peurs et de toutes les violences. Le 49-3 appartient certes à notre constitution, au même titre que la motion de censure. S’il a pu être pertinent à certains moments de notre histoire, l’est-il encore aujourd’hui ? Parce qu’il existe, devons-nous pour autant l’utiliser ? L’article 49 alinéa 3 de la Constitution ne doit pas devenir un outil de rationalisation du débat parlementaire. Certains essaient de nous faire croire qu’un consensus règnerait au sein de la majorité. Nous savons tous que c’est faux. Les tribunes et les voix se sont multipliées, et nous ont prouvé le contraire, sur la pénibilité, sur les enseignants, les fonctionnaires, sur les financements. Rien n’est évident. Le débat est
primordial. Depuis plus de deux ans, nous entendons beaucoup parler de légitimité. De la part des oppositions comme au cœur de la majorité. La réalité, c’est que, tous, nous sommes légitimes sur ces rangs. Que nous représentions 25% ou 8% des citoyens, chacun d’entre nous a été élu et reconnu par les urnes. Il n’est pas question de légitimité mais de crédibilité. Celle que beaucoup ont acquis par leur travail : sur le terrain, dans les
réunions publiques ou au sein même de cet hémicycle. La crédibilité est acquise par notre capacité à être en accord avec ce que nous défendons. Pour ma part, en tant que députée issue de la société civile, j’ai défendu cette volonté de faire de la politique autrement. Mais utiliser le 49-3 sous prétexte que « d’autres l’ont fait avant nous », ce n’est pas faire autrement ; ce n’est pas être à la hauteur de la réforme à mener ;ce n’est pas inciter à la réconciliation entre les Français et leurs élus. Aujourd’hui, vous ne trahissez personne, vous ne rejetez ni réforme ni gouvernement. Ce vote n’a
rien de personnel. Nous devons dépassionner le débat, le rationaliser. La question est de prendre de l’envergure et de la hauteur, d’accepter pleinement la mission confiée par nos électeurs. Réconcilier légitimité et crédibilité. Si nous échouons, chers collègues, la défaite ne sera ni de gauche ni de droite, elle sera collective. N’abîmons pas davantage la démocratie, faisons la vivre. Refusons de nous dessaisir de notre pouvoir législatif. Refusons le 49-3.