Un procès n’est équitable que dans la mesure où le juge est impartial et les principes du contradictoire respectés. Il est donc nécessaire, avant de se prononcer, de rencontrer chacun des protagonistes, qu’il s’agisse des associations et les personnes exilées, mais également des forces de l’ordre, des représentants de la préfecture ou des riverains.
La situation de Calais n’est pas nouvelle, son histoire débute en 1999 par l’ouverture du centre d’accueil de Sangatte, géré par la Croix-Rouge. Depuis, aucune majorité n’a su trouver de solutions durables et acceptables aux camps de réfugiés de Calais. C’est d’ailleurs à la suite d’une opération de démantèlement menée par la majorité de gauche que le camp de Grande-Synthe a vu le jour en 2016.
Laisser la situation en l’état contribue de la déliquescence des rapports entre migrants et riverains et entretient la défiance et les sentiments de rejet mutuel. A Calais, la violence s’exerce aussi bien des non-migrants envers les migrants que l’inverse, et au sein même des camps par ceux qui organisent les réseaux de passeurs, de prostitution ou de drogues et profitent de la misère en interne. Au printemps 2014, la délinquance a augmenté de 80 % à Calais. Dans une région où le Front national, conduit par Marine Le Pen, est arrivé en tête des dernières élections régionales de 2015 avec 40,64 % des voix et alors que se profilent de nouvelles élections, il faut se garder de tout manichéisme facile et jugement rapide.
La situation sanitaire française – et notamment celle des Hauts-de-France particulièrement affectés par l’épidémie de la Covid-19- appelle des mesures particulières pour l’ensemble de la population. Si l’on peut d’ailleurs regretter de manière générale l’étendue des prérogatives accordées au Gouvernement en termes de restrictions des libertés individuelles par la dernière loi d’urgence sanitaire, il est à noter que ces restrictions s’exercent de manière identique à l’ensemble des personnes présentes sur le territoire français.
L’arrêté de la préfecture du Pas-de-Calais récemment décrié interdit les distributions de nourriture dans le centre de Calais afin d’éviter des rassemblements susceptibles de contribuer à la propagation du virus. Les associations reconnues par l’État (la Vie Active et l’Audace) peuvent continuer les distributions de repas dans le respect des règles sanitaires. J’invite les associations non reconnues à joindre leurs efforts à ceux des deux associations agréées et envisager une manière de coopérer qui permette de renforcer l’action de ces dernières. Enfin, cet arrêté est limité dans le temps à la fin du mois de septembre, ce qui devrait permettre de mettre en place des solutions pérennes et concertées entre les parties prenantes, dans le respect de la dignité humaine autant que dans la prévention sanitaire.
Il est en effet évident que la situation est condamnable et n’a que trop duré. Les violations des droits de l’Homme les plus élémentaires sont flagrantes. Le véritable enjeu se situe au niveau de la politique migratoire européenne et je salue les annonces de la présidente Ursula von der Leyen mardi 15 septembre devant le Parlement européen. L’abolition du règlement de Dublin conditionnée à un “nouveau mécanisme fort de solidarité” est un engagement fort et humain qui honore l’Union européenne. Ce règlement a conduit à faire supporter l’essentiel du poids migratoire sur les pays limitrophes, menant aux situations désespérées et à certains résultats politiques inquiétants pour la démocratie, contribuant largement à la montée des populismes.
Je rejoins sur ce dernier point le groupe EDS dans son soutien à un mécanisme de solidarité fondé sur le système dit de relocalisation et le partage de responsabilité, consistant à assurer le transfert des personnes ayant besoin d’une protection internationale d’un Etat membre de l’Union vers un autre État en se basant sur des critères objectifs, quantifiables et vérifiables (démographie, PIB total, nombre de demandeurs d’asile et taux de chômage). Pour cela, j’invite la Commission à se pencher sur les travaux de l’Assemblée Parlementaire du conseil de l’Europe, gardienne des Droits Humains au sein de l’Union européenne et au-delà.
Enfin, la solution à la crise migratoire n’est pas unique mais relève davantage d’un ensemble de solutions équilibré entre les exigences de maintien de l’ordre et de contrôle de ces migrations et la tradition française d’accueil et d’intégration. L’humanisme ne pourra retrouver tout son éclat qu’au prix du dialogue. Nous devons donc nous appliquer davantage à rétablir les échanges entre les parties et chacun doit contribuer à rechercher les meilleures solutions, pour les êtres humains qui s’en remettent à nous.
En ce sens, la proposition de loi d’Annie Chapelier sur le parrainage citoyen des réfugiés répartit la charge des solutions entre état et partenaires privés, associations et citoyens. Elle vise à rendre légal en France un dispositif qui existe déjà depuis 40 ans au Canada où il a fait ses preuves. En 2018, les ministres responsables de l’immigration du Canada, du Royaume-Uni, de l’Irlande, de l’Argentine, de l’Espagne et de la Nouvelle-Zélande ont soutenu ce parrainage communautaire des réfugiés. La Commission européenne a elle-même encouragé la possibilité de créer des programmes de parrainage privé, dans le cadre desquels des organisations de société civile prendraient en charge l’aide à l’installation et à l’intégration de ces personnes.
Alors que l’immigration est une fois encore érigée en enjeu des prochaines élections présidentielles et régionales (qui en seront les primaires), j’invite chacun à travailler ensemble à l’émergence de ce panel de solutions, aux niveaux européen, national et local, entre partenaires publics et privés. Ce n’est qu’à ce prix que nous ferons reculer l’intolérance et les extrémismes et feront progresser l’intégration et l’humanisme.